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poèmes et textes janvier 17

dimanche 5 février 2017, par Anna Jouy

Je décante la nuit, alcool féroce.
Liqueur cuite et graillons de lumière, laissant dans l’étamine un sac de gravier et d’ébène. Dans la carafe de peau, le délit nocturne : des calculs, des briques, des ténèbres.
Je dévore
comme ça,
la moire des nuages, cautérisant l’ennui, l’humeur, la bile.
Je bouffe avec les doigts le bitume laqué, mélasse d’air, la détresse qu’on regarde de loin.
Est-ce que l’on souffre de s’engloutir, et le ciel autour, jusqu’à se sentir aussi nue qu’un verre d’infini ?

Une bulle monte, globule trans.
Mais ce n’est qu’un ennui qui s’échappe de ta semence, avec une queue de ballon rose. Une fille naîtra là-haut, à l’écluse des ampoules, une petite main de plus pour repeindre les ciels.

Je fais le tour de la chambre
Comme on recompte les rochers dans la rivière
Rien n’a bougé
Le troupeau des objets broute sous l’eau
Glissante merveille de l’ennui
Je pose une tablette sur ma langue
Qui va creuser le filon de vivre
Il y a au milieu une veine d’amour
Et cette chimie dégomme l’emprise du charbon
Un éclat, l’aube intérieure, quoi.

Je retourne le lit comme on tourne une page
Un flicflac et la nuit prise en nasse
Je tourne la tête, je la dé-tourne
Le regard a déjà fui
Je suspends sur le matin le linge de ma voix
Et ce léger orgasme de vent sous l’archet caresse la vie dans le sens des voiles.

Je lis. Le livre ne me dit rien. Il vaticine. Je me sens étrangère, subhumaine, comme un petit pois sous un matelas de ciel. J’affleure à peine les pages des rivières que la malice contamine mes doigts.
Odyssée ne veut parfois rien comprendre et il traverse les mers, incapable de chemins et de clairvoyance.
Le livre maintenant me lit. Chacun son tour. Je ne lui dis pas grand-chose sauf la couleur de mes yeux. Il interprète ma pupille comme une encre de réséda, dans le soleil levant.
Le livre secoue sa crinière et tombent des images saintes, une lecture connectée avec les auréoles.

Lire le poème
Siffler sa mélodie
L’essayer dans sa bouche
La rondeur de l’acide
Et puis cette goutte
Miraculeuse lourde
Qui tombe en mon jardin
Avec son gros noyau de silence

Peut-être
Comme un ticket de spectacle
Et ça rigole déchirable
Pouvoir : tout décoré d’étiquettes de voyage
Être : un peu d’espace et de validité
Peut-être

Cette pluie sans fin qui traverse les fleurs
Abonde et s’efface
La mort
Et mon âme vêtue du coupe-vent
Déplante le sol des oignons de l’averse
Je pense à toi, mon beau poème
Tu es tulipe et rien
Qu’un bulbe plus épais
Dans l’espace des marguerites
Plus épais seulement de la chair du jardin

Repriser la nuit
D’une couche d’encre au rouleau
Enduire le ciel
Passer, repasser
Jusqu’à là-bas
Qui l’absorbe dans sa tasse de nouvelles
Rajout à la cire du voyageur
Sur les mites lumineuses de son écharpe.
Et puis attendre que sèchent les funérailles
Pour voir toute la vie
A l’envers

Ce trousseau qui pend à la ceinture, noces de clochettes et de fric-frac. Le corridor en bafouille des messes basses, carillon de verre et transparences.
Fuir, avec à la taille, ses amours comme des clés qui ouvrent des impasses, une échine espalière de bras tendus où des fruits mûrissent dans leurs vases d’alcool.
Tout autour du ventre, des effractions d’angélus délivrent la nuit.
Et puis, descentes crépusculaires, les couchent dans l’absence
Alors derrière son pas, dans la neige des draps brodés, l’empreinte fondante des lèvres qui s’écartent.
Poème
Sang
Un éternel détour.

Voilà, le jour s’évapore : il est rendu
Tout est dans le verbe rendre
Un retour de lumière dans le plus immobile.
Je marche sur les dalles du change, distribution des dividendes.
La nuit a faim et froid et la pierre biberonne les ténèbres de secrètes formules
Alors qu’elle recèle à nouveau ses points de rosée allaitant l’aube des fruits de la froidure.
Le ciel bombe et ma poitrine brûle de ces boulets avant le pique-nique.
Nuit dévorée d’une broderie de feu sur la jupe de la guerre.

Ai-je trempé assez longtemps pour flétrir de l’âme ? Ai-je trempé trop longtemps pour que déteigne mon humanité ?
Car le poète sans cesse se démène non pour revenir à l’eau mais pour sauver la chair qui lui reste.
Il est tiré loin des séries et ce qu’il tente c’est de joindre ses frères et de retrouver ses digitales lisses dont aucune eau n’a écrit ni tatoué les peaux.
Il défroisse cette blessure illisible qui l’empêche de débrailler l’opacité des jours. Ce qu’il cherche, c’est le corps lisse, la nudité de son frère.
Mais il est vieux comme une onde qui fuit l’étang, vieux comme une écorce sur le lait, c’est-à-dire une chair empreinte, rugueuse et courante,
§ tourmentée d’avoir tardé dans l’âme.

Ah ! Ce poète assis sur son humérus, comme il croit avoir des branches qui volent.
Et quel outil à mâchoires pourrait mordre ainsi une queue d’étincelles comestibles ?
Se priver de levier pour soulever son tas.
Il ouvrage, il entame
Des moelles sans connaissance, lourdes de fissures et d’atomes.
Ça saigne noir dans une poche de sable, un jus d’escarbilles, du fretin de bois avec sa lisière ligneuse.
Façons poète, c’est-à-dire ?
Pour rien, pour laisser sous la table d’opération un solde de verbes et de jurons.

Une oreille sans filtre
Et sa fumée de vacarme, longue aspiration sans doute d’une citerne sous l’orage
J’entends mais toi où es-tu ?
Je te cherche dans un sac d’eau de mer
Une chute pleine dans laquelle tu t’éparpilles, shrapnel d’hématome, un baiser par contumace
Et j’entends seulement des lèvres, qui ne touchent jamais mes lèvres
Je te fume, cigare de Christ, je t’inhale par les pores.
Et toi, perdu martelé sous le sabot du boucan
Tu t’enfonces en moi par les trompes
Avant de revêtir le costume éphémère de quelque pensée.

Aujourd’hui rien de la mort
Alors je suis verte
Un fruit pas mûr qui doit laisser enfler le silence
Prospérer
De joue à joue, et de ventre à ton sexe
Il n’y a aucune histoire dedans, seul un fruit nu,
Sans vers, sans tavelures
Acide creuse
La chair intacte, un jus sans blessure
Et je voudrais dire ?!!
Quand c’est sans peine, sans saison
Même pas la nuit, attachée à son arbre
L’ombre girouette qui ficelle chaque jour mon écorce de nœuds coulants
J’attends, trogne dure, bien tenue à ma branche
Qu’un soleil lourd me leste
Et la chute

Gratte-ciel d’os
Chaque jour donc
Sortir l’éponge et l’eau
Et rincer son miroir
Chaque jour dresser les banquises dans la lumière
Chaque jour polir le tain des nuées
Comme si la scandaleuse nudité de son orgueil cherchait un drap de façade
Tendre des pièges, bleu gelure, autour de son échelle
Dedans
L’ascenseur est en panne et la concierge dans l’escalier
Avec son piton de récurage et son seau de mystère propre
Un bruit dans le ventre : l’amour à l’interphone

Nouer ses rêves comme des draps.
Enjamber le matin, sauter glisser.
Vertige des minutes où l’on voit, là, sous ses yeux, son bagage, ses fracs nus de soi. Identique identité.
On se dé-toure, on jette ses nattes par la pupille.
On va à terre
Endosser la pesanteur et le gravier.
L’empoigner, visser, y fixer son élastique. Cautériser la chevelure des anges.
Jardiner domestique.
Un râteau y passe
Nul pas nul esprit
Que la page d’écriture d’une mort encore

Amour
Je choisis parmi les mots
 j’aime bien que me servent mes ongles laqués, la vieille trieuse des profondeurs du conte-
Ceux qui se contentent
Et laissent derrière eux un sillage de silence.
On fait face à l’inconnu, qui nous revient d’un long voyage, avec cette toge, cet œil et cette main tendue.
On l’avait jeté du haut de l’un de nos naufrages, lest d’alcool, de sel et de béquilles.
Il attendait que la plage nous le rende, que le temps le touche aux lèvres.
Il attendait que le frôle un courant d’air.
Une respiration de l’être
Les mots qui s’accouplent n’ont plus de mystère. Ils sont comme des rébus, des icônes bavardes.
Et moi j’espère ne jamais m’assurer de comprendre pourquoi
L’un d’entre eux, seul et droit, sexe brandi,
Foudroie

Remplir mon allure
Habiller mon arbre de lainage, de frivoles couleurs
Bientôt seule mon ombre sur le sol
Compact retour des ténèbres
Chantera juste
La vie végète
Je continue à bouger, mobile agité sous l’âme du vent
Et j’assure
Haut et fort
Que des choses me sont
Mais leurres, esbroufes imposées pour rechaper la vie
 qui n’a besoin de rien pour être pure et transparente-
Comme un vase de verre ensablé jusqu’au cou
Je suis faite pour l’eau
Pour la tige
Et l’importance de soutenir les roses

Les fontaines n’ont rien dit.
Nous avions pourtant l’habitude de nous avouer nos rides, mais parfois l’eau boude et ne mire que son lit de cailloux, une lumière en autoallumage.
Pour nous, chats mangeurs de mains, nous avions à tenter de dormir à l’envers des yeux, là où filait le courant des Boeings
Prêts à vendre nos cheveux pour des algues tressées d’ombre et de rubans branchés
Mais le silence ricoche sur nos peaux, qu’on avale comme des grenouilles de pierre, gigotant petits œufs au miroir.
Les bassins, les étangs, les lacs, les mers ont replié nos visages,
Des serviettes après le soleil

Des crêpes chiffons qui nettoient le vent, galettes soufflées ; des yeux partout et cette chair translucide qu’une ampoule traverse comme un embryon de lumière
Les mains tartinent l’air, elles spatulent le vide dans le sens du poil
Qui se couchent et se dressent et se couchent, dentelles électriques au moindre mot
Elles mènent leur vie malgré moi
Des antennes, des filets, des flaconnages de neige en toutes saisons
Et rien ne s’y noue qu’une seule bague
Le collet d’un autre temps

S’abandonner
Et suivre le bras, jusqu’au grand hamac d’os et de tambour d’un arbre plus grand que soi.
S’abandonner c’est-à-dire s’écrouler
Raide doux dans sa mort,
De s’y sentir,
D’y respirer contre l’utérus d’étoupe d’un peu d’air encore
Qui se glisserait entre l’éternité
S’abandonner, s’éteindre.
Confier sa frousse à la forêt inutile
vierge de cailloux et de pain perdu
Là où ne marche personne
Et pas soi, pas plus
À petits pas

Il y a assez d’épingles dans ma pelote pour me mettre à l’angle droit
Assez de pointes pour coudre un col Danton sur ma nuque
Assez de courage pour redresser la barre
Je ne dessinerai pas d’yeux à mon ventre, pas de sourire à mon sexe
Je n’oublie pas le matin d’inverser la tendance, de mettre des bretelles à ma face et de prier un peu en crêpant mes cheveux.
Je n’oublie pas l’élongation de l’âme à la fronde idéale,
Gymnastique du pathos, de l’atroce et du saint cours de l’os.
Je n’oublie pas de ravauder la mémoire, d’huiler les pièces dentées, de briquer mes enjoliveurs
Je n’oublie pas que j’ai 1.60 m. de poussée vers le ciel
Et des haltères fessiers sur le fil de Newton
J’apprends à fixer mes envols et à déchirer mes chutes sur le cadastre du jour
C’est à ce prix que je pointe du menton à l’usine de la mort.

L’inconnu a-t-il jeté en moi un caillou plein de rides et de voyages ?
Et cet accroc dans mon visage qui ne cesse de braire et de mentir
Encore
De toute sa joie, de toute son excentricité.
Un inconnu ? Ou le centre ? Ou les bordures écartelées d’un nom ?
Que choisir ?
Le rire, qui est une fugue nerveuse, une chèvre qui broute les parcelles voisines, animal attaché par la gorge ?
Le centre, le nombril d’un jupon qui tourne sur ses pointes ?
Ou l’inconnu, l’inaperçu secret des mécanismes et des dominos dont on ne sait quelle équation l’a mis sur sa trajectoire ?
Ou alors toi, ta forme, grand empiècement dans mon désir, toi l’instable amour qui bague de cercles vagues mon corps fuyard.

Le chaos irrésistiblement
M’épanouir en ailes
Jusqu’aux deux bouts de l’univers, extension faramineuse avec sa collection de bulles et de savon.
Mon âme de poète ne s’est pas éveillée.
Alors le monde est cru comme l’air tout autour.
Je suis habillée de problèmes inquiets. C’est pour ça, un corps plein, dans lequel il n’y a pas de place pour la matière infroissable, souple aux archets, le flocon qui respire.
L’âme ne se comprime pas dans les zéros de l’infini. Ça obéit aux grandes lois du chaos et du tremblement.
Ce matin, je suis d’une cire irrespirable. Mon corps est un violon vide dont le scintillement s’est durci.
Les 99% d’eau de mon être dorment encore et je sèche à la peine.

On aimerait cette grâce légère de la prochaine pluie
On attend au bord de l’insomnie ce cri de pic bois au ventre et qui monte au seuil des averses
Revenir au nuage
Je traverse encore la nuit
Tu es dans ton bocal de lumière.
Là où je vis tu t’étends et dors.
Dans mon rêve, nous portons la même médaille autour du cou d’un autre. Cet embouti de cuivre sur la poitrine, radiant mutique.
Certains disent que mon amour est ivre, qu’il n’est qu’un petit bateau
Certains pensent que je perds pied, que je béquille, que je condense
Je pense seulement que tu es une pièce du puzzle, l’autre vie où se font les images
Bien des êtres t’aiment
Et bien
Et mieux
Mais personne comme moi
Secrètement et inutile
Un pont de brume dessus la mer.

Fièvre de forêts
Une grippe d’oiseaux penseurs.
Le corps enfle de mots et de tisons, le grand bourdonnant. Le poème bourrine entre flammes et cendres, feu dévêtu de la ténèbre. Feuilles et mousses que l’on jette au foyer pour des crépitements tandis que d’une main, on rassemble le bouquet d’étincelles, le gruau d’incendie.
Étendre sur le front une rivière propre pour glacer ses remous. Poser un temps bleu sur la garance des batailles.
Considérer sa fièvre sous cellophane, comme un délit d’ailes et de moineaux. Délirer lentement, mot à mot le livre des images.
On a été nulle part et pourtant, à la lance et à l’averse, en lutte contre les ravageurs de l’irréel.

Je n’ai pas gardé la profondeur. À peine ai-je sarclé le manque de ciel
Je vis la bague au doigt, à sentir le pouls d’argent des noces humaines. Les gens ont des corps qui roulent dans ma tête, ils ramassent la neige bonhomme.
Mes mots ne sont que des épis de soufre et je regarde le monde par l’étincelle.
Peut-être je confonds la beauté et l’étonnement joyeux ?
J’aimerais comme vous m’asseoir et respirer par le ventre ; j’aimerais le cratère et la grosse cendre.
Mais tout pétille et se dissout et je dis des jours de phosphore.

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