Journal poétique / www.jouyanna.ch

l’ami...

vendredi 15 novembre 2013, par Anna Jouy

L’ami.
Il est silencieux comme le poisson dans sa boule de verre. Je n’ai rien entendu. Mon oreille pourtant longuement polie à sa parole, n’a rien saisi de son pas glissé sur le chêne de mon escalier.
Il en a fait sa spécialité. Le silence. Dont il veut à tous crins faire croire qu’il est celui des violons.

Paroles rares, éruptives, prononcées au centre de soi et puis, omniprésentes, les autres, celles de la nécessité et du concret.
Manger, boire, dormir. Bobos multiples et quotidiens de banalités balancées à la surface du vent. Actualités, sport et cahier culturel compris.

Le silence. Celui qui remplit désormais notre relation, bocal vide ajusté de son couvercle. Je ne sais toujours pas ce qui coulera dans ces parois de verre, vinaigre ou confiture. Dans le silence, il y aurait la sagesse ? Mais dans le sien quelque chose de l’ordre de la destruction lente.

L’ami. Il avait pris le temps de parler et c’est comme ça qu’il est devenu si efficacement amical. Parler et suivre sans relâche le parcours des mots. Ce train de paroles, son rail de coke posé sur mon esprit, jusqu’à ma dépendance complète.
Alors, comme une surprise, un petit truc en plus… le silence.

Apprendre ce qui se tient dans cet espace dépeuplé, dans cet abîme livré à mon esprit et à mes lèvres. Tendre l’oreille à ce bruit épais qu’est le silence.
Se demander si c’est lui qui vous étouffe ou si c’est vous qui l’étouffez.
Apprendre cette leçon le nez fermé, la bouche close et promener longuement ses pas dans son cerveau en répétant chaque jour comme pour maintenir son existence… je suis, je suis, je suis…
L’ami qui ne sait pas ce qu’il est en train de vous apprendre, ce qu’il vous livre au poids… la solitude et la science de votre unicité.
L’ami qui ne se sait pas qu’il est celui auquel on tient comme un fruit à une branche, qui ne sait pas qu’il est votre origine et votre fin.
L’ami qui n’a pas conscience de sa place et du pouvoir de sa parole.

L’ami. Celui qui fait de moi un humain écrivant, jour après jour, pour rien, pour tenir ma place, pour vivre, pour toucher l’espace de mes mots la membrane du ciel, la membrane d’une âme, la membrane du divin.
L’ami qui se tait. Qui se voile de silence, de l’interdit, de l’odeur des cimetières, la gorge perforée.


à qui de droit
illustration : dieu au javelot/ site rupestre de Listelby

< >

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.