Journal poétique / www.jouyanna.ch

ciseaux à puits

mercredi 4 septembre 2013, par Anna Jouy

Je connais un oiseleur en fait il aime surtout les oiseaux de paille
c’est fou le temps qu’il passe à vider leurs entrailles, les sécher et recomposer de copeaux leurs corps mangés par les fourmis quand je passe devant sa vitrine, il y a tellement de volatiles me fixant sans bouger
je me repais de leur tranquillité, me disant que pour une fois, une fois, ils sont sans crainte aucune et là je comprends bien qu’entre ces êtres et moi, rien, non vraiment rien jamais ne sera possible
oui, même le ciel expire dans les rideaux de la fenêtre
on le voit cet ultime souffle soulevant le voile de coton

on le voit qui se retire comme d’une apnée mortelle
cherchant en nous un sens une idée un appel

de l’air, de l’air

on parle petite mort et un autre a chuchoté : petite résurrection.

Bricoleur, vous êtes un homme au noir
les portes closes et sans regard
l’air repris, l’air serti
jusqu’au fond de l’esprit
alcool et puis cigare
vous éprouvez au corps les jeux du hasard
dans la lie d’une onde illusoire
de jour, de nuit, de sable et d’eau
l’âme dans un entonnoir
dispersant du sommet des cathédrales
les particules et les copeaux
une pensée, une peinture
cette suée en pétales
qui me glisse, froide dans le dos.

Particules et copeaux
d’un corps épelé au rabot
disséminé d’une main, offert au vent
à l’autre bout du temps
une femme écumoire
écope les sciures
pour écrire le miroir
de sa propre figure

(extrait en écho)

J’ai calandré le ciel, il est devenu lisse,
cartonneux prêt à son œuvre de buvard
l’eau qui viendra le changera en taches, toutes plus évidentes au regard du psychiatre

oui la joie est monade sans fractions, sans escompte

oui je connais ce mot, ai rencontré son hymne

si blanche, si mince, écale infime d’un œuf primitif

microcosme sans racine sommé de pondre un limon, une goutte, et le fleuve du chant.

Je ne sais plus lequel du ciel ou de la mer est le miroir de l’autre
embarcadère débarcadère
d’arc bandé ou de cordage tenaillé

un gardien photophore attend ma promenade
ange d’une partie de patience
irrésolu mail aux chevaux —moteur des ailes.

ici personne ne travaille, ce n’est qu’errance et inutile
sinécure et villégiature nomades
c’est L’île du salut d’une colonie pénitentiaire
Kafka se promène dans les gravats d’épices

le monstre mécanique de nos mutilations et nos supplices
nous ramène sans cesse
au rythme d’une marée par jour
dans le trou noir bordé d’iris de notre isolement

ce miroir tendu cerne d’un khôl d’angoisse le regard et le vide qui s’y baigne
et tout autour est sel sur le dos des limaces

de quels ailés peut-on encore rêver ?

bouder est un profil
un trois quart dos espérant le portrait,
une femme à sa fenêtre aux allures de Manguin
toutes couleurs forcées pour tâcher d’y voir plus

prendre le recul jusqu’à cet œil nouveau d’un réglage des lentilles et s’offrir le pas cranté des mécaniques internes
oui la mélancolie se porte en bandoulière : tout semble déjà vu et déjà reconnu jusqu’à en venir aux mots.

Les écales des insectes sur le sable pétrifié des femmes
l’ombre du gnomon dressé, force virile défiant le soleil
le 69 interminable de la nuit et du jour

et moi qui éructe des mots dans un silence d’eau, des bulles se frayant avec tant d’efforts une verticalité oppressée
oui le café est vide, le train de nuit passé, et l’on se sent quitter bientôt sa propre image.

En fouillant, en visite, j’ai été comme le chat grimpant sur la table et lapant sans gêne le lait des rois
on le sent venir ce frisson, ce séisme nain qui dressera notre plume d’oie comme un vent la chair des poules
on le sent tranquille et sûr resserrer notre peau et fermer comme une contraction de méduse nos élans et nos chants.

Tomber dans le regard
permettez, à vous qui me laissez un coin de place dans votre potager, d’oser — juste maintenant, juste en ce lever de ciel gris — vous dire combien il est douloureux de chuter du regard de celui qu’on aime
c’est arrivé hier soir, ses yeux m’ont laissée choir et le vers s’est brisé : fracture de poésie
il va falloir plâtrer et le mot se rigidifie déjà.

Il y a des ventres qui ressemblent à de sales secrets et inviolables
faites pour eux une compta à double entrée pour parler très vulgairement
oui je sais ce n’était guère fin et le carré blanc s’impose en rage dans cet effort quotidien pour tenir une tête fraternellement en l’air, ce sont les petites choses qui cimentent la minerve
il fut une époque où l’on parlait d’hirondelles
désormais des rapaces
ou peut-être, armés de matraques et de boucliers , sont-ils devenus des Falcons, des Sukhoï, des Rafales ou encore des Mirages, super étendards flottant à l’arrière de leurs virtuelles bicyclettes ?
Le temps est à la marche à pied.

Et un œil de verre d’un cyclope au cœur de feu
un anneau de fiançailles d’une diablesse à un ange de quartier
une bulle de mousse d’une bière montée au bourrichon
le strabisme alangui d’une paire de lunettes traversières
le bord de miel d’un chou à la crème
la pluie qui déborde des soucoupes
le petit bourgeon de larme grandissant à l’œil

billet de commissions ou liste ménagère
ton " crapaud" est sonneur et trébuchant de sons
ah oui j’oubliais : un bouquet d’iris.

Aimer c’est une cloque sur les chairs du brûlé, et dans l’eau qui monte on croit trouver l’apaisement, ce jus de désir, cette ondée, cette pluie qui devrait
ah oui, elle devrait, la salope !
mais combien on attend en elle l’espoir des craquelures, la détente des peaux l’humidité et l’assouplissement de notre corps calciné d’angoisse et de solitude.

Le moulin des jours rengaine sur le vent : le baiser vient-il d’Est en Ouest ? épuisant amour, bien plus encore de la conscience nette mise en œillères qu’il n’est à portée des humains.

Nous reste le corps, résidence de l’autre, parfois peut-être, et on recommence à attendre.

Plus la phrase est lapidaire, plus le ballast du commentaire est ardu à labourer
on creuse le détail, on soulève la pierraille de la catapulte
on se dit : que dire ?
et puis on se dit que seule la question importe, qu’on a sûrement planté ici du bizarre pour qu’une interrogation demeure et que, des heures durant, le sourcil se fronce ou se lève histoire de donner à mon front la mobilité du voyage qui débute donc dans la beauté de la gare
qui dit case départ

et en arpentant nos possibles, je pense à l’agité
possible que lui puisse oblitérer des tickets inaccessibles
qu’on lui serve presto un rail de poésie et une draisine de voyage
tous les tickets sont compostés, la porte est ouverte, et la fenêtre et le nuage.

Ordonnance en cas de vraie fièvre de vie :

prendre une église, de préférence ancienne
tapissée de beautés italiennes ou romanes
et commencer ici un déambulatoire,
votre son abandonnant en filet la poupée que vous êtes
passer et repasser jusqu’ à faire sur le sol une trace effilochée et de vous un vide existentiel
(essentielle, cette médication mécanique du vide assure le livre des Recettes)
puis aller en cachette, ombre d’entre toutes les ombres, jusqu’à cet escalier de crypte, vers une profondeur qui seule vous serait propice
descendez, descendez, les spirales ADN de votre belle église, plongez dans ses caves, ses chapelles et dans ses oratoires
parfois tremblez, tremblez comme une lueur,
parfois écoutez la rumeur d’un grégorien de femmes
mais vous n’y êtes pas, ce n’est pas encore assez loin

tant de gens vous le disent, en bas votre unique jardin souterrain, sous divin
oui, les autres vous le prédisent : la lumière, la source, la liberté

pourtant depuis le début, depuis le premier battant ouvert de votre sanctuaire, vous avez deviné et compris, vous, qu’il fut béni le jour de la Saint Sébastien.


extrait de Ciseaux à puits/Polder ed.

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